La nuit des songes
Tout était calme, tout semblait mort, le soleil lui-même ne semblait vouloir regarder à nouveau cette atrocité quotidienne…
Soudain, un sifflement, des cris, des hommes franchissant leur tranché, de nouvelles victimes.
Tout n’est que désolation, fracas, hurlement brusquement interrompu par la chute d’un nouvel obus.
Les hommes marchent vers leur mort, survivre et tuer sont les deux seuls pensées de ces guerriers d’un jour.
Moi, il y a longtemps que je suis là, contemplant, impuissant, l’immensité du désastre humain. J’ai toujours protesté, j’ai vu mourir mes amis, mes frères.
J’ai aussi vu mourir leurs amis, leurs frères.
Seul leur uniforme est différent, même pensée, même combat, même douleur, même mort…
Je peux tout voir sur le champ de bataille, je vois ceux qui prient, je vois ceux qui hurlent, je ne vois que des hommes dont la destinée fut décidée par d’autre…
Quelques minutes plus tard, quand tout est calmé, ne résonnent que les cris, dernières clameurs des morts. Tant de vie détruite par ce vol, ce sifflement et cette explosion.
Puis se sont les gaz, nuage jaune flottant à quelques mètres au dessus de nous. J’ai eu de la chance, je n’ai jamais subit les gaz. Je n’ai jamais vu mes amis tomber dans la boue de ce qui constitue notre chambre, se tordant de cette brûlure intérieure que nul vivant ne peut décrire.
Je contemple, muet, les exploits d’une poignée d’homme, menant à la mort, pêcheurs, agriculteurs, ouvriers sans aucune distinction.
Je contemple les richesses de ceux qui nous fournissent des armes et des balles, pour tuer l’homme d’en face qui sert les même intérêts que nous.
Je contemple ce paysage que la nature n’aurait su créer. Désolation, destruction, ravage… Nul mort sans tombeau dans ce cimetière infini…
Je voudrais me lever et réunir mes frères, mais je ne peux plus me lever…
Je voudrais crier à tous la fin de la guerre, mais je ne peux plus crier...
Je voudrais chanter l’hymne des prolétaires et cesser cette boucherie, mais je ne peux plus chanter…
Je regarde inlassablement ces obus fabriqués des mains de ma femme tomber sur moi et me répandre encore un peut plus sur le champs de bataille, tel un sac de farine rouge se vidant dans un moulin…